Louis Gillet, Diego Rivera, dans: Michel, L'histoire de l'art, 1929 (dieser beitrag wurde verfasst in: französisch)
eingetragen von Alex Winiger am 16.03.2016, 10:34 (email senden)
[…] C'est ce dont s'avisait au début de ce siècle un jeune Mexicain, Diego Rivera, qui vivait à Paris dans le monde des fauves, fort mêlé aus recherches et aux puissantes dissociations auxquelles se livraient les Braque, les Derain et les Picasso, prélude de reconstructions futures; de retour au Mexique en 1910, il assistait aux premiers grondements de la Révolution; puis, rentré en Europe pour dix nouvelles années, il passait tour à tour par toutes les expériences du cubisme, traversait l'influence de Renoir, et voyageait enfin trois ans en Italie, où l'attendait, pour illumination dernière, la révélation des peintures étrusques et des fresques de Giotto. Ainsi armé, il rentrait enfin dans son Pays en 1921, à l'âge de quarante ans, à l'heure où la Révolution triomphait et où le ministre Vasconcelos distribuait des murailles aux peintres, Montenegro, Atl, Siqueiros, Revueltas, Leal, de la Cueva (il y avait même dans le nombre un Français, Jean Charlot), donnait des monuments aux artistes comme on partageait les terres aux paysans, et appelait les arts à célébrer la gloire de la patrie.
Les premières peintures de Rivera, dans le grand amphithéâtre de l'École préparatoire, firent sensation à Mexico: c'était la première fois que la vie nationale s'offrait aux regards, revêtue d'une forme grandiose. Des symboles de la vie de l'Homme et de la Femme prenaient la valeur des anciens «miracles» des vies de saints. La vie contemporainte se montrait susceptible d'expression héroïque. C'était un bouleversement de l'iconographie. La forme est encore loin pourtant d'être très originale. Certains morceaux paraissent des fragments détachés d'une fresque siennoise, d'autres font penser au Puvis de Doux pays et de la Vision antique, et l'on retrouverait même dans la conception l'influence du Besnard de l'École de Pharmacie.
Jusqu'à présent, c'est dans les fresques du Secrétariat de l'Éducation, et surtout à l'École d'Agriculture de Chapingo, que Diego Rivera a donné sa mesure. Un voyage en Russie (l'artiste y est retourné une seconde fois en 1927) a servi à préciser sa foi, à le détacher du passé sans retour. La Révolution lui fournit une idéologie. Quelle qu'en soit la valeur, c'est pour l'artiste une religion: il y trouvé l'enthousiasme qui enflammait pour le christianisme les maîtres des vieux âges. Son art a la fonction d'enseignement, la force de propagande que les missionnaires catholiques attendaient de la peinture: cette esthétique violemment anticléricale est un véhicule de passions et d'idées mystiques. Cela est bien visible dans cette chapelle de Chapingo, démeublée de ses autels et de tout ce qui fut le culte, et que le peintre a couverte de fresques naturalistes, dans l'esprit d'un Lucrèce de nos jours, Sainte-Chapelle de la Révolution, Sixtine des temps nouveaux. L'artiste y déroule en images fougeuses et violentes à la fois un catéchisme et une cosmogonie, la double genèse de la nature et de l'homme, la profonde gésine, les accouchements de la Terre et de la race humaine sur le sol du Mexique. On y voit la Nature, géante couchée, tenant entre ses mains rêveuses le germe de la vie, entourée des figures farouches des Éléments, l'Eau, le Vent et le Feu, génie couronné d'un éventail de flammes et sortant d'un cratère. Ailleurs, ce sont les puissances intimes et les forces en travail dans les entrailles de la Terre: un génie féminin, bizarre sphinx accroupi, replié sur les talons dans une attitude magique au fond d'une caverne de flammes, étend les bras, attire les divinités du métal, les énergies qui sommeillent et glissent sous forme de météores aux veines de l'écorce terrestre. Plus loin, sur les parois latérales, ce sont les scènes symboliques de la révolution, l'oppression, le réveil, puis l'aurore e la gloire de la conscience paysanne. C'est à la fois la Bible et l'Évangile du prolétariat, une sorte de théogonie et d'apocalypse fulgurantes, tenant de Blake et de Michel-Ange. Enfin, sur la muraille qui fait face à l'abside, à la place des vieux paradis, la vision de la Nature harmonieuse, d'un Éden cultivé par l'humanité régénérée. On voit l'importance de ces peintures où Diego Rivera a créé la première imagerie révolutionnaire, la geste de son peuple et la légende nationale.
C'est là une œuvre dont on chercherait en vain l'équivalent, non seulement dans le reste de L'Amérique, mais en Europe et en Russie. Le hasard a fait s'épanouir au Mexique la première des grandes œuvres d'art nées du matérialisme socialiste et agraire. L'auteur s'est forgé pour cela un dialecte personnel: on reconnaît dans ses peintures la collection complète des types nationaux, les faces épatées des Indiens, le crâne conique et le bec de l'Aztèque, le masque composite et troublé du mulâtre. Quelquefois, dans certains types de bourgeois, dans la peinture du monde des riches et des fêtards, il ne s'interdit pas des procédés de pamphlétaire, des satires d'affiche électorale. Mais l'émotion déborde, une séduction irrésistible emporte les critiques: sur ce dessin qui vous rudoie, un admirable iris de couleurs, un chatoiement de tons diaprés, orangés, vert tendre, rose de feu, déploie son écharpe de délice, toute la gamme voluptueuse de la lumière du Mexique. De nouvelles peintures en cours d'exécution dans l'escalier du Palais National à Mexico développent l'histoire du pays en scènes multiples dont la confusion évoque les rythmes des stèles cosmographiques des anciens Mayas.